[Texte rédigé en octobre 2004, mis à jour en janvier 2005, envoyé pour information au Conseil des Prud'hommes de Paris le 11/02/05] : Le malade Alzheimer employeur, Ou comment une personne âgée dépendante devient multi-employeur malgré elle et se ruine (histoire vraie)
Adressé à :Monsieur Jean-Pierre Raffarin, Premier Ministre (son cabinet a accusé réception), Monsieur le Médiateur de la République (via M. Blisko,député du XIIIème Arrt de Paris), M. Douste-Blazy, ministre de la santé et de la protection sociale, M. Sarkozy, ministre de l'Économie, des finances et de l'industrie, M. Jean-Louis Borloo, ministre de l’emploi, du travail et de la cohésion sociale, M. Blisko, député du XIIIème Arrt de Paris, M. Thierry Carcenac, député du Tarn, président du conseil général, Pr. Françoise Forette, service de gériatrie gérontologie de l’hôpital Broca-La-Rochefoucault (pour info), M. Jean Doudrich, président de l’association France Alzheimer, Mme Catherine Vautrin, secrétaire d’Etat aux personnes âgées, Pr. Pierre Pfitzenmeyer, gérontologue (pour info, et lui m'a immédiatement répondu), M. Charles Pistre, député-maire de Gaillac (Tarn)
LE MALADE ALZHEIMER EMPLOYEUR,
OU COMMENT UNE PERSONNE AGEE DEPENDANTE
DEVIENT EMPLOYEUR MALGRE ELLE ET SE RUINE
(histoire vraie)
Soit Mme T., 94 ans en 2004, atteinte de la maladie d’Alzheimer depuis quelques années.
Veuve, 3 enfants géographiquement éloignés, elle vit seule à son domicile avec d’abord des aides ménagères, puis la visite quotidienne d’infirmières et l’intervention d’auxiliaires de vie qui l’assistent pour la toilette, les repas, etc... Son état se détériorant au fil des années, les besoins deviennent de plus en plus importants.
Fin 2003 son niveau de dépendance est évalué à GIR 2.
Plusieurs problèmes se posent :
Problèmes financiers
Les ressources de Mme T. ne suffisent plus à couvir ses besoins.
Pour 2003 :
Recettes mensuelles : retraites : env. 1000 Euros + APA 655 Euros (GIR 3) = 1655 Euros
Dépenses mensuelles : auxiliaires + charges sociales : 1000 euros + loyer HLM : 380 euros
+ nourriture, vêtements, téléphone, assurance, entretien : 400 euros, TOTAL : 1780 euros
En 2004 :
retraites : env. 1000 Euros + APA. 750 Euros (GIR 2) = 1750 Euros
Dépenses mensuelles : auxiliaires + charges sociales : 2000 euros + loyer HLM : 380 euros
+ nourriture, vêtements, téléphone, assurance, entretien : 400 euros, TOTAL : 2780 euros.
Déficit mensuel : plus de 1000 Euros
Depuis le début de l’année 2004, tout le livret d’épargne de Mme T. a été englouti pour combler ce déficit.
Le paradoxe de l’APA :
L’APA couvre un certain pourcentage d’un plan d’aide personnalisé qui est lui-même plafonné à un montant bien inférieur aux besoins réels. Dès lors que la personne âgée bénéficie de l’APA, elle paie toutes les prestations à son domicile à plein tarif (puisque l’APA en rembourse une partie), alors qu’avant l’APA les prestations lui étaient facturées à un tarif réduit compte tenu de ses faibles ressources.
Question : Ne serait-il pas posssible de prévoir 2 tarifications des services à domicile, une première tranche à plein tarif (correspondant au plafond du plan d’aide) et le reste à tarif réduit selon les ressources ?
Le paradoxe de la réduction d’impôt :
En 2003, Mme T. a déclaré 11110 Euros pour l’emploi de salariés à domicile.
Retenu : 10000 Euros (plafond).
Réduction d’impôt : 0 (aucune réduction d’impôt car Mme T. n’est pas imposable sur le revenu compte tenu de ses faibles ressources).
Pour le même montant déclaré, une personne imposable bénéficie d’une réduction d’impôt de 50% soit 5000 Euros.
Suggestion : au lieu d’une réduction, M. le ministre des finances, pourquoi ne pas accorder un crédit d’impôt ? (Une personne non imposée sur le revenu obtiendrait alors le remboursement de 50% des dépenses engagées pour l’emploi d’aides à domicile).
Puisque les entreprises qui ouvrent une crèche d’entreprise se voient accorder un crédit d’impôt, pourquoi les personnes âgées, elles aussi créatrices d’emplois, n’auraient-elles pas le même droit ?
Il y a là une iniquité flagrante, surtout lorsque l’on considère la modicité des revenus.
Question subsidiaire : Une telle mesure aurait évidemment un coût direct, aisément chiffrable d’après les déclarations de revenus souscrites.
Combien de personnes âgées non imposables ayant déclaré des emplois à domicile ? Pour quel montant ? Leur rembourser 50% de ces dépenses coûterait combien ?
Rappelons que les salaires versés sont autant d’allocations de chômage en moins.
L’exonération de charges sociales :
Il est largement annoncé que les prestations d’aide à domicile sont exonérées de charges sociales.
Or tous les 3 mois, la facture de l’URSSAF tombe : 1400 Euros à rajouter aux salaires déjà payés. En fait , éxonération il y aurait bien, mais seulement partielle.
L’association intermédiaire s’est bien gardée d’en avertir la famille.
Suggestion : l’exonération totale des charges sociales.
Problèmes juridiques
Mme T. se trouve être légalement l’employeur de plusieurs auxiliaires de vie (les aides ménagères, elles, sont employées par l’association intermédiaire). Pour chacune, y compris en cas de remplacement ponctuel, l’association facture des frais administratifs.
Pourquoi plusieurs auxiliaires ? Une auxiliaire (X) vient 4 heures le matin, du lundi au vendredi. Une autre (Y) vient 4 heures le matin le week-end. Il faut en outre tenir compte des week-ends, des congés, etc.
X a pris un congé de maternité. Il a donc fallu employer une remplaçante, (Z) (en CDD).
A l’issue de son congé de maternité, X prend un congé parental d’un an.
Z donne toute satisfaction et la famille aimerait la garder, mais on ne peut pas licencier X.
Il faut donc garder Z en plus de X., et pour la durée du congé de X (selon la FOSAD) ???
Supposons que Y ou Z à leur tour prennent un congé de maternité ?
Il faudrait engager une ou des remplaçantes, elles-mêmes susceptibles de prendre un congé de maternité, suivi d’un congé parental, etc…C’est un engrenage infernal.
Hospitalisation : l’employeur hospitalisé est-il tenu de payer des prestations d’aide qui ne lui sont évidemment pas fournies pendant son hospitalisation et le temps où il n’est pas en état de voyager pour rentrer à son domicile (cas de force majeure) ? La situation s’est présentée cet été à Gaillac (hospitalisation de Mme T. à Albi). Vacances : Séjournant chez ses enfants à Gaillac-St Beauzile (Tarn) en juillet et août 2004, Mme T. était semble-t-il tenue de payer tout de même ses auxiliaires de vie, dont les dates de congé ne correspondaient pas à son absence. Un arrangement amiable a été trouvé avec Z, mais pas avec Y à qui Mme T. a dû payer des prestations inexistantes puisqu’elle était en province chez ses enfants (lesquels devaient de leur côté payer des auxiliaires locales…)
Mme T. et ses enfants, qui gèrent la situation tant bien que mal, se retrouvent ainsi pieds et poings liés, l’employée ayant tous les droits (certaine prenant même celui de partir en vacances sans en informer son employeur…) et l’employeur se trouvant contraint de payer des services inexistants.
Que faire pour sortir de cette situation ?
Entrée en maison de retraite : Selon l’association intermédiaire (la FOSAD), L’employeur est tenu de payer Z jusqu’à la fin de son CDD et ledit CDD doit être de la durée du congé de la personne remplacée. Est-ce à dire que si une place se libère début 2005 pour Mme T. en maison de retraite médicalisée Alzheimer, elle sera tout de même tenue de payer son employée pour rien pendant un an (durée du congé parental de X et donc du CDD de Z)?
Autant alors ne pas renouveler le CDD en cours !
Mais qui y gagnera ? Certainement pas Z, qui a besoin de travailler. Certainement pas Mme T., habituée à Z et dont la valse des différents intervenants accroît la confusion.
Et quid des employées en CDI ?
Une telle rigidité est au final préjudiciable à l’emploi et risque de mener directement à la ruine les employeurs malgé eux que sont certains malades Alzheimer. Il s’agit d’individus affaiblis et non de PME. Monsieur Borloo, il faudrait impérativement prévoir des conditions plus souples pour cette catégorie d’"employeurs".
Problème de la compétence de l’association intermédiaire
Le recours à une association intermédiaire était censé simplifier les démarches administratives mais il n’en est rien et il apparaît que l’association renseigne mal ou incomplètement les familles sur les conséquences du choix entre le système "mandataire" et le systéme "prestataire". Des personnes n’ayant jamais été employeurs ne peuvent pas connaître la législation du travail dans les moindres détails (les entreprises s’assurent les services de juristes à cet effet). Les associations intermédiaires devraient avoir l’obligation de faire savoir aux familles exactement à quoi elles s’engagent lorsqu’elles deviennent "employeur" (montant des versements dûs à l’URSSAF, obligation de payer un sursalaire de 10% en fin de CDD – alors qu’un pourcentage de précarité est déjà inclus dans le salaire-, impossibilité de licencier mais aucun recours en cas d’abandon de poste, etc…)
Elles devraient aussi veiller à la qualification des auxiliaires.
Problèmes de formation
(qualification des personnes qui interviennent auprès des personnes âgées)
Depuis plusieurs années que nous (les enfants de Mme T.) faisons appel aux associations intermédiaires (service municipal de Paris XIII, ASSAD XIII, Arc-en-ciel, FOSAD, ADHAP/Main tendue...), nous avons une expérience très diversifiée à cet égard. Sur la bonne vingtaine d’auxiliaires qui sont passées chez Mme T., nous avons tout connu, depuis la véritable perle, chaleureuse et compétente (malheureusement reconvertie ailleurs) jusqu’à, hélas, l’incapable dont la "prestation" s’apparente à de l’abus de faiblesse. L’absence ou l’insuffisance de formation est un problème crucial et l’inconscience d’associations intermédiaires qui envoient pour s’occuper d’un malade Alzheimer des personnes incapables de la moindre initiative est sidérante.
Mesdames et Messieurs les décideurs,
merci de vous pencher sur ces dures réalités.
(Dois-je le préciser ? Aucun des décideurs interpellés n'a répondu concrètement)